Selon une enquête du site « The Intercept », Google projetait d’accéder aux demandes de censure et de contrôle du régime Chinois sur leur moteur de recherche. Tout cela dans le but de reconquérir un marché que l’entreprise avait décidé de quitter en 2010, en invoquant un conflit d’éthique qui portait justement sur ces demandes Chinoises.
Un projet digne de 1984
Les révélations de « The Intercept », indiquent que plusieurs cadres de Google, dont le PDG Sundar Pichai, travaillaient en secret depuis 2016 sur un projet de moteur de recherche destiné à la Chine. Le projet, baptisé Dragonfly, a été conçu pour répondre aux exigences du régime en matière de censure, en interdisant l’accès à des sites tels que Wikipédia ou en blacklistant certains termes de recherches.
Dragonfly se basait sur un partenariat entre Google et une entreprise chinoise, dont le nom n’a pas filtré. L’essentiel étant que les serveurs et les data centers détenus par cette entreprise chinoise hébergeraient l’infrastructure du moteur de recherche, ce qui rendait de facto les données en transit accessibles au régime. L’idée était que Dragonfly soit développé sous forme d’application Android ou iOS, ce qui permet aux autorités chinoises de lier les recherches à un numéro de téléphone et de les géolocaliser.
Secret dangereux, même au sein de Google
Une grande partie des révélations a été effectuée par Yonatan Zunger, qui a quitté Google l’an dernier après 14 ans de service en tant qu’un des meilleurs ingénieurs de la firme de Mountain View. Il faisait partie d’un groupe restreint de personnes assignées par leurs supérieurs au projet Dragonfly, quelques centaines de personnes sur les 88.000 employés de Google. Le projet était si sensible que les collaborateurs du projet n’avaient pas le droit de prendre de notes écrites. Ils avaient également été informés que partager des informations sur ce projet avec d’autres employés non affiliés au projet causerait leur renvoi immédiat de l’entreprise.
Les révélations de Zunger apportent également des précisions sur la structure de l’équipe en charge du projet ainsi que des procédures internes de la firme. Tout nouveau produit ou service développé par Google doit d’abord être examiné par trois équipes sur trois volets distincts : juridique, sécurité et respect de la vie privée. Zunger était à la tête de l’équipe chargée d’analyser le volet sur la vie privée, il devait dans le cadre de son travail, assister aux réunions. Pour ensuite, à partir des informations récoltées et des recherches de son équipe, produire un rapport déterminant si Dragonfly respecte ou non les standards établis en matière de vie privée.
Le chef du projet Dragonfly est Scott Beaumont, haut dirigeant de Google pour la Corée et la Chine, il dirigeait donc les réunions concernant le projet. Durant la première réunion, les équipes traitant de vie privée et de sécurité ont informé Beaumont des thématiques qu’elles souhaitaient aborder dans le cadre de leurs rapports. Les équipes souhaitaient vérifier si le système de recherche Chinois était sécurisé vis à vis des hackers, si les utilisateurs auraient le contrôle de leurs données personnelles et si certains aspects du système pourraient récolter des informations sur les utilisateurs sans qu’ils s’en aperçoivent. Ce à quoi Beaumont a répondu à la surprise générale que se poser et traiter ce genre de questions n’était pas bienvenu dans le projet.
Diviser pour mieux régner
Suite à quoi Beaumont a décidé de durcir sa gestion du projet en écartant purement et simplement les équipes de sécurité et de vie privée des réunions. Il s’est assuré d’un contrôle strict des accès aux discussions et aux documents concernant Dragonfly et a recentralisé toute communication. Chaque équipe a été séparée, et ne pouvait communiquer et faire remonter les informations que via l’équipe de Beaumont, même pour les problèmes techniques. Ce qui selon Zunger, était très inhabituel, normalement, même pour un projet très confidentiel, il y a communication ouverte entre les équipes, remontant jusqu’aux décideurs les plus importants de Google. Du point de vue de Zunger, Beaumont a voulu s’assurer que le projet ne réponde qu’à ses exigences personnelles et a tout fait pour tuer dans l’oeuf toute voix dissidente.
Malgré les bâtons qui leur ont été mis dans les roues, l’équipe de Zunger et l’équipe de sécurité ont été au bout de leur travail et ont produit le rapport initalement demandé. Le rapport mettait en lumière les problèmes qui pourraient survenir avec le lancement d’un tel moteur de recherche en Chine. La conclusion du rapport était que non seulement cela poserait Google en collaborateur du régime autoritaire du Parti Communiste Chinois, mais qu’il serait également impossible d’avoir un quelconque levier judiciaire contre les demandes des autorités. Ce qui reviendrait à se rendre complice de violations de droits que ce soit en matière d’accès à l’information, de surveillance ou d’utilisation de données privées.
Révélations et conséquences
Après avoir rendu le rapport, Zunger a demandé à rencontrer les décideurs de l’entreprise, dont le PDG Sundar Pichai, mais le meeting a été repoussé plusieurs fois. Quand le rendez-vous a finalement eu lieu, en Juin 2017, Zunger et les membres de son équipe n’ont pas été prévenus ni de la date ni de l’endroit, et ont donc manqué le rendez-vous. Ce que Zunger a évidemment interprété comme un acte délibéré, et il a donc décidé de démissionner de Google afin de protester contre les pratiques dont son équipe et lui ont été victimes.
Depuis les révélations de The Intercept, l’affaire a connu un écho important, des sénateurs américains s’emparant du sujet et rédigeant une lettre ouverte à Google. Le vice-président Mike Pence a même publiquement demandé à Google de stopper purement et simplement le projet. Une pétition interne a été également lancée par les employés de Google afin de demander l’arrêt du projet Dragonfly, plus de 1000 employés ont signé.
Suite à ces révélations, Sundar Pichai n’a pas pu garder le silence bien longtemps et a dû faire machine arrière. Il a indiqué qu’il n’y avait plus de plans pour développer Google en Chine, mais qu’il ferait preuve de transparence si il décidait de relancer un projet en Chine. Selon des sources internes sous couvert d’anonymat, les ingénieurs du projet Dragonfly ont été réassignés à d’autres tâches. L’entreprise américaine va également suspendre un investissement réalisé à Pékin dans le domaine de l’intelligence artificielle. Google semble donc faire une croix sur ses projets d’expansion en Chine, au moins à court terme.